LE
SAINT-LAURENT

Petite histoire du Saint-Laurent
SOUS LE RÉGIME FRANÇAIS
Dès leur découverte par les premiers explorateurs, le fleuve et le golfe Saint-Laurent ont imposé aux navigateurs des conditions de navigation des plus difficiles. Aujourd'hui encore, récifs, hauts-fonds, courants, marées, brume et bancs de sable, demeurent les caractéristiques principales de cette voie navigable.

Les archives du régime français recèlent de nombreux récits de voyages dénonçant les périls que présente la navigation en aval de Québec. Dès 1635, le Collège des jésuites de Québec inaugure un cours d'hydrographie destiné aux pilotes canadiens. Entre 1727 et 1740, un ambitieux programme de levés hydrographiques est mis en branle par la nomination de Richard Testu de la Richardière, capitaine du port de Québec.

Les premières aides à la navigation
En 1737, La Richardière fit construire un alignement des plus ingénieux. Il fit déboiser une section de 100 pieds de largeur sur 1000 pieds de longueur sur l'Île aux Ruaux pour faciliter un passage situé à la hauteur du cap Tourmente près de l'Île d'Orléans, appelée " Traverse d'en haut ", un endroit des plus dangereux à cause de la proximité de nombreux rochers, bancs de sable et Îlots.

Dans une lettre au ministre de la Marine, le gouverneur Beauharnois et son intendant Hocquart, identifient l'emplacement de deux autres endroits sur l'Île d'Orléans où des amers devraient être construit : le premier à la rivière Delphine et l'autre à la pointe St-Jean. Un document daté du 22 octobre 1759 confirme l'existence de ces balises.

SOUS LE RÉGIME ANGLAIS
Au lendemain de la conquête, les nouveaux administrateurs sont confrontés aux mêmes difficultés de navigation que leurs prédécesseurs. Ces derniers se montrent pressés d'établir une carte vraiment fidèle du fleuve. Le travail fut confié à nul autre que James Cook, celui qu'on surnomme le père de l'hydrographie moderne. À l'été 1670, Cook effectue une première série de sondages entre Matane et l'embouchure du Richelieu. Un an plus tard, il produit une carte relativement précise de ce secteur. En 1762 et 1763, Cook dresse un relevé des côtes de Terre-Neuve, du Labrador et des Îles Saint-Pierre et Miquelon.

Le travail de Cook sera poursuivi au XIXe siècle par l'amiral Henry Wolsey Bayfield, hydrographe de la Marine royale du Canada. Entre 1827 et 1841, Bayfield effectue un relevé complet du fleuve depuis la côte ouest de Terre-Neuve jusqu'à Montréal.

Le pilotage
La réglementation sur le pilotage fut au chapitre des premières préoccupations des administrateurs britanniques. En 1762 et en 1768, deux ordonnances du gouvernement créent deux stations de pilotage, l'une au Bic et l'autre à l'Île aux Coudres. Ces ordonnances imposent un droit de pilotage que les capitaines doivent obligatoirement acquitter. C'est ainsi qu'une vingtaine de pilotes est mis à la disposition des capitaines qui ne sont pas familiers avec le Saint-Laurent.

Les premiers phares
Le premier phare du Saint-Laurent fut érigé en 1809. Malgré la cartographie et le pilotage, le bilan des tragédies maritimes demeure élevé. Selon les Archives nationales, entre le 3 juin 1776 et le 31 octobre 1783, 60 navires font naufrage dans les eaux du Saint-Laurent. Les moyens financiers du gouvernement étant limités, un seul phare est construit dans les cinquante premières années du régime anglais, celui de l'Île Verte en 1809. Il restera l'unique phare sur le fleuve jusqu'en 1830. De 1830 à 1867, un total de 17 phares et un bateau-phare seront installés en aval de Québec et dans le golfe Saint-Laurent. Malgré tout, la navigation demeure toujours périlleuse entre Terre-Neuve et Québec.

AU XIXe SIÈCLE
Malgré leur utilité, les relevés hydrographiques de l'amiral Bayfield, le premier réseau de phares et le service de pilotage ne suffisent pas à réduire le nombre de naufrage. La navigation demeure toujours périlleuse dans les eaux du fleuve et du golfe Saint-Laurent.

Il est impossible d'établir le nombre exact de naufrages pour toute la durée du XIXe siècle. Toutefois, une compilation dressée pour la période de 1840-1849 rapporte un total de 233 accidents. L'année la plus désastreuse fut celle de 1846, alors que 47 navires furent engloutis. Une autre liste pour la période de 1856-66 fait état de la perte de 674 navires.

Trois causes
À l'époque, le député de Rimouski Joseph-Charles Taché voyait trois causes principales à ces naufrages : la négligence des capitaines, une pénurie de phares, le manque d'organisation de la profession de pilote.

La négligence des capitaines de navire fut également dénoncée par l'amiral Bayfield.

LES PHARES
Pour la majorité des gens, les phares figurent parmi les lieux les plus romantiques qui soient. On note quatre types de stations de phares : les stations côtières, les stations insulaires, les bateaux-phares, les piliers-phares.

Charles Hambelton, un écossais d'origine fut le premier gardien de phare du Saint-Laurent. Sa nomination à l'Île Verte en 1809 établissait une longue lignée de gardiens qui ne devait s'éteindre qu'en 1988.

Lors de la guerre de 1812, opposant la Grande-Bretagne aux États-Unis, la station de l'Île Verte a servi de poste d'observation à l'Amirauté Britannique dans l'éventualité d'une incursion de la flotte américaine dans ce secteur du fleuve Saint-Laurent. Ainsi, en plus de ses tâches, Hambelton devait surveiller les signaux transmis par le schooner St. Lawrence qui patrouillait au large de l'Île.

Les services des gardiens de phares ont de nouveau été sollicités lors de la Seconde Guerre mondiale en 1942 alors que des sous-marins allemands ont attaqué et coulé plus d'une vingtaine de navires dans les eaux du fleuve et du golfe.

Les exigences
Pour poser sa candidature au poste de gardien de phare, les exigences étaient peu nombreuses : sexe masculin, âgé entre 18 et 50 ans, en santé et posséder une bonne vue et de bonnes moeurs, savoir lire, écrire et compter.

Le gardien devait allumer et éteindre le feu du phare, veiller à ce qu'il ne fume pas, nettoyer et entretenir l'équipement optique, remonter le mécanisme de rotation, actionner le signal de brume, veiller à l'entretient général des bâtiments de la station et effectuer les travaux d'entretien mécanique.

LES SIGNAUX SONORES
Les tout premiers signaux de brumes étaient tout simplement des canons.

Selon une étude menée par le ministère de l'Environnement, l'estuaire du Saint-Laurent serait, de toutes les régions canadiennes, la région la plus touchée par la formation d'épais brouillards entre les mois de mai et septembre, soit au plus fort de la saison de navigation. La station de la pointe Sud-Ouest de l'Île d'Anticosti détiendrait le record canadien avec 66.6 jours.

QUAND LA NATURE SE DÉCHAÎNE
Le 25 décembre 1966, les trois gardiens du pilier-phare du haut-fond Prince à l'embouchure du Saguenay ont connu un Noël d'horreur alors qu'une grosse tempête, sans doute la pire de l'histoire du Saint-Laurent, vint s'abattre sur leur phare et y fit rage pendant plus de trente-six heures.

Conçu pour résister à des vagues de 25 pieds de hauteurs, le pilier dut subir l'assaut répété de vagues atteignant 60 pieds. La violence de cette tempête fut telle que deux portes d'acier épais d'un pouce furent défoncées par les vagues. Ces portes constituaient deux des trois sorties d'urgences situées à 51 pieds de hauteur par rapport à la base du pilier. Ce point dépassait de 13 pieds le niveau des plus hautes marées jamais enregistrées dans ce secteur.

La situation devÎnt tellement sérieuse que les gardiens décidèrent d'envoyer un message de détresse : " Il y a une tempête épouvantable au pilier. L'eau rentre comme une rivière par une des portes du 51. Les planchers sont inondés. Le chauffage est arrêté. Les tuyaux sont arrachés. Appelez Québec. Le pilier " shake " tellement que c'en est épeurant. Nos vies sont en danger... "

Les gardiens Gagnon, Fraser et Lagacé n'oublieront jamais le 25 décembre 1966.

SOMMAIRE
Ce grand fleuve, dont on redoutait tellement les écueils aux XVIIIe et XIXe siècles, a finalement été apprivoisé de nos jours. Des équipements électroniques complètement automatisés ont remplacé les gardiens de phares, et des aides à la navigation beaucoup plus précises comme le GPS (DGPS) sont apparues dans la dernière décennie.

Pareils développements technologiques ont pratiquement éliminé toute possibilité de mauvaise évaluation de la localisation des navires dans le fleuve et le golfe Saint-Laurent. Mais l'erreur humaine est toujours possible et les instruments ne sont pas exempts de pannes. Il importe toutefois de mentionner que les accidents ou incidents se font de plus en plus rares de nos jours.

Pierre Boucher N